« Sans jamais y être tenue », l’administration peut assortir un permis de prescriptions

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1. L’autorité compétente pour accorder une autorisation d’urbanisme, soit en délivrant un permis, soit en ne s’opposant pas à une déclaration préalable, peut, afin d’assurer la conformité du projet aux dispositions applicables, l’assortir de prescriptions portant sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet.

Est-elle pour autant tenue de le faire ? En d’autres termes, le pétitionnaire dont le projet ne pouvait pas être autorisé en l’état et qui s’est vu opposer un refus peut-il en obtenir l’annulation en démontrant que les conditions étaient remplies pour délivrer une autorisation assortie de prescriptions ?

2. Alors que sa jurisprudence antérieure était ambiguë sur ce point, le Conseil d’État s’était engagé en 2019, avec prudence, dans la voie d’une réponse positive (CE 26-6-2019 no 412429 : BPIM 4/19 inf. 233). Saisi par le tribunal administratif de Toulon d’une demande d’avis contentieux qui permettait de mieux mesurer les conséquences de cette solution, il rebrousse chemin. L’avis rendu le 11 avril dernier dans la formation de section du contentieux pose en principe que la délivrance d’une autorisation assortie de prescriptions est une simple faculté pour l’administration et que le pétitionnaire ne peut en aucun cas lui reprocher devant le juge de ne pas l’avoir mise en œuvre (CE sect. 11-4-2025 no 498803, Sté AEI Promotion).

Le régime jurisprudentiel des autorisations assorties de prescriptions

3. Aucune disposition ne fixe le régime des autorisations assorties de prescriptions, qui a été défini par la jurisprudence à partir des années 1970. On relèvera que leur champ n’a pas été limité au cas où une disposition mentionne la possibilité de délivrer un permis « sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales » (dispositions « permissives » du règlement national d’urbanisme, voir no 11).

4. Le Conseil d’État a d’abord posé plusieurs règles relatives à la consistance des prescriptions. D’une part, elles ne peuvent porter que sur des points précis et limités, ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet (CE 5-5-1972 no 78627 : Lebon p. 349 ; CE 7-11-1973 no 85237 : Lebon p. 624). D’autre part, l’autorisation doit régler elle-même ces points, sans pouvoir renvoyer à une négociation ultérieure entre l’administration et le pétitionnaire (CE 7-11-1973 no 85237 : Lebon p. 624 ; CE 25-9-1987 no 66734, Min. urbanisme c/ ville de Bourg-en-Bresse : Lebon T. p. 1013) ni poser une obligation d’ordre procédural (CE 2-6-2023 no 461645, SCI du 90-94 avenue de la République : BPIM 4/23 inf. 237).

5. En 2015, un arrêt de la section du contentieux est venu préciser que les prescriptions ne sont légales que si elles ont pour objet et pour effet de rendre le projet conforme aux dispositions applicables (CE sect. 13-3-2015 no 358677 : BPIM 3/15 inf. 164). L’arrêt définit en ces termes les conditions de légalité des prescriptions : « l’administration ne peut assortir une autorisation d’urbanisme de prescriptions qu’à la condition que celles-ci, entraînant des modifications sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet, aient pour effet d’assurer la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect ».

Mettant fin, par ailleurs, à une jurisprudence selon laquelle une autorisation assortie de prescriptions était, par nature, indivisible, ce qui excluait l’annulation des seules prescriptions, le même arrêt a admis que le pétitionnaire est recevable à former un recours contre une prescription. Le juge doit faire droit à ce recours s’il constate que la prescription a été édictée illégalement et que son annulation n’aura pas pour effet de rendre illégale l’autorisation elle-même, seule situation dans laquelle autorisation et prescriptions doivent désormais être regardées comme un ensemble indivisible.

Obligation ou faculté ?

6. En énonçant les conditions qui doivent être remplies pour qu’une autorisation puisse légalement être assortie de prescriptions, l’arrêt de section de 2015 laissait entière la question de savoir si, dans le cas où ces conditions sont réunies, l’administration est tenue de délivrer une telle autorisation ou s’il lui est loisible d’opposer un refus, à charge pour le pétitionnaire de présenter une nouvelle demande de permis ou de souscrire une nouvelle déclaration pour un projet conforme aux dispositions d’urbanisme.

7. Dans les années 1980, le Conseil d’État a retenu des réponses divergentes, d’abord dans le sens d’une simple faculté (CE 30-9-1983 no 396691), puis d’une obligation (CE 12-5-1989 no 96665, SCI Azur Park), par des décisions qui, n’ayant pas été mentionnées sur ce point au recueil Lebon, n’ont pas fixé la jurisprudence.

8. La question s’est posée à nouveau en 2019, dans une affaire où, s’étant vu opposer un refus de permis sur le fondement de l’article R 111-2 du Code de l’urbanisme au motif que la construction projetée comportait des risques d’incendie, le pétitionnaire soutenait que le maire aurait dû lui délivrer un permis assorti de prescriptions de nature à réduire ces risques (CE 26-6-2019 no 412429 : BPIM 4/19 inf. 233 ; CE 22-7-2020 no 426139, Sté Altarea Cogedim : BPIM 5/20 inf. 293).

L’arrêt rendu en 2019 juge qu’en vertu des dispositions de l’article R 111-2, « lorsqu’un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l’autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu’il n’est pas légalement possible, au vu du dossier et de l’instruction de la demande de permis, d’accorder le permis en l’assortissant de prescriptions spéciales qui, sans apporter au projet de modification substantielle nécessitant la présentation d’une nouvelle demande, permettraient d’assurer la conformité de la construction aux dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect. »

9. La solution était formulée avec prudenceD’une part, était seul visé l’article R 111-2 (« Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations »). D’autre part, il était précisé que les conditions légales des prescriptions, rappelées par l’arrêt, devait être appréciées « au vu du dossier et de l’instruction de la demande de permis », ce qui excluait la possibilité d’invoquer devant le juge des éléments dont l’autorité compétente n’aurait pas eu connaissance à la date du refus. Compte tenu de ces précautions, la solution paraissait définir un équilibre acceptable en prévenant une mise en œuvre excessive de la possibilité de refuser le permis pour des motifs de salubrité ou de sécurité, sans créer de réelles difficultés contentieuses et en évitant que l’instruction de la demande de permis se poursuive devant le juge.

Questionnements

10. Les juridictions de fond et la doctrine ont toutefois dû affronter la question du champ d’application de la nouvelle jurisprudence (F. Polizzi, Entre prescription et refus de permis, l’autorité compétente peut-elle choisir ? : JCP ACT 2019 no 26, comm. 2252 ; M. Rivert, La prescription spéciale assortissant le permis de construire comme alternative au refus : proposition d’un mode d’emploi : RDI 2024 p. 234).

11. Le mode de rédaction de l’article R 111-2 (« Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il… ») se retrouve dans plusieurs autres articles du règlement national d’urbanisme (C. urb. art. R 111-3 à R 111-5, R 111-14, R 111-24-1, R 111-26 et R 111-27) et est fréquemment repris dans le règlement des plans locaux d’urbanisme (PLU).

Ces dispositions sont dites « permissives » car elles permettent à l’autorité compétente de refuser le permis lorsque le projet porte atteinte aux intérêts qu’elles mentionnent sans pour autant lui imposer de le faire. C’est pourquoi elles donnent lieu à un contrôle normal du juge lorsqu’un refus est opposé et fait l’objet d’un recours du pétitionnaire (CE 10-4-1974 no 92821 : Lebon p. 233) et à un contrôle restreint lorsque l’autorisation est délivrée et est attaquée par un tiers (CE ass. 29-3-1968 no 59004, Sté du lotissement de la plage de Pampelonne : Lebon p. 211). Dans le premier cas, toute erreur dans l’appréciation de l’atteinte portée à l’intérêt mentionné par la disposition est censurée sur la requête du pétitionnaire, dans le second cas, l’erreur doit être manifeste pour entraîner l’annulation de l’autorisation à la demande d’un tiers.

12. L’extension de la solution retenue par le Conseil d’État à l’ensemble cohérent que constituent les dispositions permissives était naturelle (CAA Nantes 27-1-2023 no 21NT03653, statuant au regard de l’article R 111-5 du Code de l’urbanisme). Cependant, la jurisprudence ne limite pas la délivrance d’une autorisation assortie de prescriptions aux projets portant atteinte aux intérêts mentionnés par ces dispositions : la même voie est ouverte en présence d’un défaut de conformité à une règle d’urbanisme quelconque, dès lors qu’il est possible d’y remédier par une prescription portant sur un point précis et limité et ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet. Dans ces conditions, l’obligation de mettre en œuvre ce remède ne pouvait guère être cantonnée et plusieurs juridictions ont pris parti pour sa généralisation (TA Rouen 7-12-2023 no 2202751), en s’efforçant parfois d’encadrer cette obligation par un certain nombre de précautions (TA Strasbourg 22-2-2024 no 2302966 : RDI 2024 p. 227 concl. V. Pouget-Vitale, « Dans quelles conditions l’autorité administrative saisie d’un projet illégal doit-elle délivrer un permis plutôt que d’opposer un refus ? »). Le tribunal administratif de Toulon a cependant refusé à deux reprises de s’engager dans cette voie (TA Toulon 18-9-2020 no 1703326 ; TA Toulon 26-6-2024 no 2302738).

13. Rencontrant à nouveau la question, ce tribunal a pris le parti d’interroger le Conseil d’État (TA Toulon 8-11-2024 no 2400101), comme peut le faire toute juridiction de fond confrontée à une question de droit soulevant une difficulté sérieuse et susceptible de se poser dans un grand nombre de litiges (C. just. adm. art. L 113-1). La demande d’avis a été transmise à l’occasion d’un litige relatif à un refus de permis de construire motivé par un défaut de conformité du projet à plusieurs articles du règlement du PLU : la hauteur de la construction dépassait de 12 cm la hauteur maximale autorisée, les places de stationnement étaient trop nombreuses et la proportion des places dotées d’une prise pour la recharge des véhicules électriques n’était pas respectée, le local poubelle était difficilement accessible et n’était pas raccordé aux réseaux. Le pétitionnaire faisait valoir qu’il était à chaque fois possible d’assurer le respect du PLU moyennant une réserve portant sur un point précis et limité et ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet.

Le revirement de jurisprudence

14. Ainsi conduite à se prononcer, la section du contentieux a été confrontée à la fois au caractère irrésistible d’une généralisation de la solution retenue en 2019, si elle était maintenue, et aux inconvénients sérieux de l’état du droit qui en résulterait.

En effet, les conditions auxquelles est subordonnée l’édiction de prescriptions sont délicates à apprécier. Il n’est pas évident de déterminer si la modification du projet assurant sa conformité à la réglementation d’urbanisme est suffisamment précise et limitée et nécessite ou non la présentation d’un nouveau projet. Le rétablissement de la conformité pourra souvent se faire de plusieurs manières, entre lesquelles il n’appartient pas à l’administration de choisir : ainsi, dans l’affaire ayant donné lieu à la demande d’avis, le maire n’avait pas à déterminer celles des places de stationnement qui devraient être supprimées pour respecter le maximum fixé par le PLU. Et l’exigence jurisprudentielle selon laquelle les prescriptions doivent être précises ne permet pas de renvoyer une telle question à un accord ultérieur entre le pétitionnaire et les services compétents.

15. La généralisation de la solution retenue en 2019 risquait donc de perturber sérieusement la répartition des rôles entre le pétitionnaire, l’administration et le juge, de compliquer le contentieux des refus d’autorisation et de rendre l’issue des litiges difficilement prévisible. Il était loin d’être acquis que l’obligation, à chaque fois que c’est possible, d’assurer la conformité du projet moyennant l’édiction de prescriptions déboucherait effectivement sur une détermination plus rapide des droits des porteurs de projets de construction.

16. On peut certes estimer souhaitable, pour avancer dans cette direction, une régularisation des projets au cours de l’instruction des demandes de permis et des déclarations préalables, comparable à la régularisation devant le juge des autorisations entachées de vices auxquels il est possible de remédier sans modifier la nature même du projet (C. urb. art. L 600-5-1). Mais une telle régularisation semble exiger un dialogue entre le pétitionnaire et l’administration préalable à la décision, débouchant sur une modification du projet par celui qui en est porteur, sur les points où il contrevient à une règle d’urbanisme.

17. Si aucune disposition n’organise un tel dialogue, la jurisprudence a récemment affirmé la possibilité pour le pétitionnaire de modifier son projet en cours d’instruction, en précisant que, dans le cas où une telle modification, par son ampleur ou par la date à laquelle elle intervient, ne permet pas à l’autorité compétente de prendre parti dans le délai légal d’instruction déclenché par le demande initiale, elle fait courir un nouveau délai, à charge pour l’administration d’informer le pétitionnaire de la nouvelle date à laquelle son silence fera naître une autorisation tacite (CE 1-12-2023 no 448905, Cne de Gorbio : BPIM 1/24 inf. 10).

18. Cette solution, que la section du contentieux a rappelée dans son avis, fournit un cadre procédural pour une évolution du projet en cours d’instruction. Certes, aucune obligation ne pèse sur l’administration de provoquer l’évolution du projet en signalant au pétitionnaire, avant de statuer sur la demande ou la déclaration, un défaut de conformité à la réglementation applicable. Une telle obligation ne pourrait résulter que d’une disposition la prévoyant et fixant ses modalités, dont la détermination serait à l’évidence particulièrement délicate. Néanmoins, en dehors de toute obligation, il arrive semble-t-il assez fréquemment qu’un dialogue se noue entre l’administration et les porteurs de projets. En excluant que l’autorité compétente soit tenue de modifier elle-même les projets pour remédier à des défauts de conformité mineurs, le Conseil d’État n’a donc pas fermé la voie de la régularisation des demandes et déclarations au cours de leur instruction administrative.

Le nouvel état du droit

19. Après avoir rappelé les dispositions selon lesquelles l’autorisation ne peut être accordée que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires fixant les règles d’urbanisme (C. urb. art. L 421-6 pour les demandes de permis, L 421-7 pour les déclarations préalables), l’avis énonce le nouvel état de la jurisprudence en trois paragraphes dont la clarté est digne d’éloge :

« En l’absence de dispositions y faisant obstacle, il est loisible au pétitionnaire, le cas échéant après que l’autorité administrative compétente lui a fait part des absences de conformité de son projet aux dispositions mentionnées à l’article L. 421-6, d’apporter à ce projet, pendant la phase d’instruction de sa demande et avant l’intervention d’une décision expresse ou tacite, des modifications qui n’en changent pas la nature, en adressant une demande ou en complétant sa déclaration en ce sens accompagnée de pièces nouvelles qui sont intégrées au dossier afin que la décision finale porte sur le projet ainsi modifié. »

« L’autorité administrative compétente dispose également, sans jamais y être tenue, de la faculté d’accorder le permis de construire ou de ne pas s’opposer à la déclaration préalable en assortissant sa décision de prescriptions spéciales qui, entraînant des modifications sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet, ont pour effet d’assurer la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect. »

« Le pétitionnaire auquel est opposée une décision de refus de permis de construire ou d’opposition à déclaration préalable ne peut utilement se prévaloir devant le juge de l’excès de pouvoir de ce que l’autorité administrative compétente aurait dû lui délivrer l’autorisation sollicitée en l’assortissant de prescriptions spéciales. »

20. Le premier paragraphe et l’essentiel du deuxième reprennent à l’identique des règles déjà acquises, les mots « sans jamais y être tenue » et « faculté » au deuxième paragraphe et le troisième paragraphe opèrent le revirement consistant à abandonner la solution adoptée en 2019. L’ensemble définit clairement un nouvel équilibre dont on peut penser qu’il sera durable, sauf intervention du législateur ou du pouvoir réglementaire pour compléter les dispositions applicables à l’instruction des demandes et des déclarations.

 

© Lefebvre Dalloz

Publié il y a 1 semaine
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