Une société, propriétaire de 20 locaux commerciaux situés dans le centre commercial de la Madeleine, à Chartres, décide de les vendre. Une promesse de vente est alors conclue moyennant un prix de 26 920 116 € sous condition suspensive de purge du droit de préemption urbain (DPU). Sur délégation spéciale du maire de Chartres, la société publique locale Chartres aménagement (SPL) préempte en proposant un prix de 5 382 000 € suggéré par un avis de France domaine, en ayant conscience que ce prix est manifestement sous-évalué. La SPL a en tête une opération d’aménagement et d’ailleurs, quelques mois après la préemption, une zone d’aménagement concerté (ZAC) du Plateau Nord-Est est créée, incluant ce centre commercial. Le promettant refuse de conclure la vente au prix proposé par l’administration, inférieur de 80 % au prix conventionnellement convenu, et saisit le juge de l’expropriation. Mais, peu avant que l’expert désigné par le juge judiciaire ne rende ses conclusions et ne fixe un prix qui fasse « référence », la SPL Chartres aménagement notifie au propriétaire sa renonciation à préempter. Usant alors de son droit de délaissement, le propriétaire invite la commune de Chartres à acquérir son bien, ce qu’il peut faire quand un terrain est situé dans une ZAC (C. urb. art. L 311-2 et L 230-1). Alors que le propriétaire s’apprête à saisir le juge afin qu’il prononce le transfert de propriété et fixe le prix de vente, la commune de Chartres décide de modifier le périmètre de la ZAC pour en exclure le centre commercial de la Madeleine. Un litige s’ensuit, le propriétaire soutenant notamment qu’en parallèle, tractations et accords entre la commune, la SPL et le propriétaire de l’hypermarché Carrefour situé à proximité des locaux litigieux visaient à le contraindre à céder à bas prix ses locaux.
Saisie de l’affaire, la cour administrative d’appel constate un double détournement de pouvoir. Il ressort de la chronologie des faits et des pièces du dossier que la modification du périmètre de la ZAC, décidée quelques mois après que le propriétaire a mis en demeure la commune d’acquérir ses biens, avait pour seul objectif de faire obstacle à son droit de délaissement et que le prix « allait être, selon toute vraisemblance, réévalué à 10 000 000 €, voire 15 000 000 € au-dessus de l’estimation » réalisée par France domaine. Quant à la décision de préemption, la cour rappelle que le caractère insuffisant du prix au regard du prix du marché est, par lui-même, sans incidence sur la légalité de la préemption (CE 7-1-2013 no 357230, Cne de Montreuil : BPIM 2/13 inf. 111). Toutefois, au vu des pièces d’une instruction pénale relative à l’opération, la cour juge que la préemption n’avait pas pour objet d’acquérir le bien mais de rompre la promesse de manière à pouvoir acquérir ultérieurement le bien à moindre coût et de façon générale, à tirer vers le bas les prix de toutes les acquisitions à venir dans la zone.
à noter : Affaire décidément trouble et illustration intéressante du détournement de pouvoir, lequel consiste à exercer un pouvoir pour des motifs étrangers à ceux pour lesquels la loi l’a confié à l’autorité administrative. Il doit être établi de manière certaine par les pièces du dossier soumis au juge administratif. Dans l’affaire commentée, il a pu l’être en raison du versement à ce dossier des pièces d’une instruction pénale, dont la cour administrative d’appel a admis qu’elles pouvaient être produites sans méconnaissance du secret de l’instruction et devaient être prises en considération. La responsabilité de l’État a également été engagée, en raison non d’une implication de France domaine dans le détournement de pouvoir mais d’une faute dans le choix de la méthode d’évaluation.
La cour administrative d’appel indique que la modification du périmètre de la ZAC aurait pu être fondée sur l’impossibilité pour la commune d’assurer le financement de l’opération, notamment en raison du décalage entre les sources de financement et la mise en œuvre du droit de délaissement par les propriétaires du secteur. Mais, en l’espèce, le projet d’aménagement du quartier n’a pas été modifié.
Quant à la préemption, les juges ont déjà eu à se prononcer sur la légalité de décisions prises pour lutter contre la hausse des prix de l’immobilier. Dans une affaire, a été jugée illégale une préemption reposant uniquement sur le critère du prix de revente par rapport au prix d’achat et visant à empêcher que la revente d’un bien issu d’un programme d’accession sociale à la propriété donne lieu à une plus-value substantielle (CAA Versailles 5-10-2017 no 16VE02954 : BPIM 6/17 inf. 402).
CAA Versailles 31-1-2024 n° 22VE00765
© Lefebvre Dalloz 2024
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