Chassez le naturel, il revient au galop

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1. Récemment, des jurisprudences importantes ont vu le jour dans le domaine de l’instruction des autorisations d’urbanisme. Elles ont pour socle la grande réforme des autorisations d’urbanisme de 2005-2007 dont l’objet était de protéger davantage les pétitionnaires en leur offrant des garanties.

L’instruction des autorisations d’urbanisme redessinée par le juge

2. La grande réforme des autorisations d’urbanisme des années 2005-2007 a profondément transformé, en la clarifiant notablement, la procédure d’instruction des autorisations d’urbanisme. L’un des totems de cette importante réforme était le fait de conférer des « garanties » aux pétitionnaires par le truchement de la rationalisation du contenu des demandes d’autorisation d’urbanisme (avec la mise en place d’une « check-list » de pièces obligatoires) avec pour corollaire des délais d’instruction fermement établis, conduisant, le cas échéant, à des décisions favorables tacites.

3. C’est, comme toujours, bien après le temps des réformes que la jurisprudence est venue donner sa portée exacte à ce corpus de textes qui n’a, depuis cette date, pas été fondamentalement modifié.

Rappels textuels

4. Pour rappel, depuis 2007, dans un délai d’un mois suivant le dépôt d’une demande de permis de construire, il revient à l’autorité compétente de notifier une modification de délai d’instruction de droit commun, qui peut être prolongé en fonction des consultations à mener, de la situation du terrain, des législations opposables, etc. (C. urb. art. R 423-24 s.) et de formuler une demande de pièces complémentaires afin que le dossier de demande de permis de construire puisse être regardé comme complet (C. urb. art. R 423-38). L’instruction ne démarrera alors qu’au jour de la réception en mairie des pièces manquantes, lesquelles doivent être communiquées dans les 3 mois suivant la réception de la demande de pièces.

5. Une jurisprudence particulièrement fournie a vu le jour s’agissant de ces demandes de pièces complémentaires, qui conditionnent très largement les procédures d’instruction, de leur point de départ à leur issue, et qui ont pu faire l’objet d’une instrumentalisation certaine des pétitionnaires comme des administrations, avec des marges d’erreur importantes.

6. Conjoncture ou volonté, on a pu récemment constater que le juge administratif avait redessiné le régime de ces procédures.

Encadrement jurisprudentiel

7. D’abord, dans sa décision très remarquée « Commune de Saint-Herblain », le Conseil d’État est revenu sur sa jurisprudence établie (CE 9-12-2015 no 390273, Cne d’Asnières-sur-Nouère : BPIM 1/16 inf. 17 ; CE 13-11-2019 no 419067 : BPIM 1/20 inf. 9) et a pu considérer que « le délai d’instruction n’est ni interrompu, ni modifié par une demande, illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n’est pas exigée en application du livre IV de la partie réglementaire du Code de l’urbanisme » (CE 9-12-2022 no 454521, Cne de Saint-Herblain : BPIM 1/23 inf. 7). Dans cette hypothèse, une décision tacite d’acceptation naît à l’expiration du délai d’instruction « sans qu’une telle demande puisse y faire obstacle ».

8. Le Conseil d’État ne s’est toutefois pas borné à une décision isolée et a récemment approfondi ce nouveau « guide jurisprudentiel » des procédures d’instruction des autorisations d’urbanisme avec, d’une part, une décision s’agissant des majorations irrégulières de délais d’instruction (CE 24-10-2023 no 462511 : BPIM 6/23 inf. 355) et, d’autre part, la décision « Commune de Gorbio » portant sur les substitutions de pièces (CE 1-12-2023 no 448905, Cne de Gorbio : BPIM 1/24 inf. 10).

Une administration responsabilisée

Majoration indue du délai d’instruction

9. Dans sa décision du 24 octobre 2023, le Conseil d’État a aligné le régime applicable en matière de notification de majoration indue de délai d’instruction sur celui des notifications de pièces complémentaires illégales (voir no 6) : « une modification du délai d’instruction notifiée après l’expiration du délai d’un mois […] ou qui, bien que notifiée dans ce délai, ne serait pas motivée par l’une des hypothèses de majoration prévues aux articles R 423-24 à R 423-33 […], n’a pas pour effet de modifier le délai d’instruction de droit commun à l’issue duquel naît un permis tacite ou une décision de non-opposition à déclaration préalable » (CE 24-10-2023 no 462511 : BPIM 6/23 inf. 355).

10. Gare donc aux administrations qui ne se soumettraient pas à une application rigoureuse des majorations de délais prévues par le Code de l’urbanisme, au risque de voir entrer dans l’ordonnancement juridique des autorisations tacites potentiellement illégales.

Demande de substitution de pièces à l’initiative du pétitionnaire

11. Parallèlement, le Conseil d’État a été interrogé sur le régime des « substitutions de pièces ». Au cours du délai d’instruction (que celui pour produire des pièces complémentaires soit ou non échu), les maîtres d’ouvrage sont souvent amenés à modifier leur projet et le juge est venu préciser l’incidence de cette production de pièces sur le délai d’instruction.

12. « Lorsque, du fait de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle ces modifications sont présentées, leur examen ne peut être mené à bien dans le délai d’instruction, compte tenu notamment des nouvelles vérifications ou consultations qu’elles impliquent, l’autorité compétente en informe par tout moyen le pétitionnaire avant la date à laquelle serait normalement intervenue une décision tacite, en lui indiquant la date à compter de laquelle, à défaut de décision expresse, la demande modifiée sera réputée acceptée. L’administration est alors regardée comme saisie d’une nouvelle demande se substituant à la demande initiale à compter de la date de la réception par l’autorité compétente des pièces nouvelles et intégrant les modifications introduites par le pétitionnaire. Il appartient le cas échéant à l’administration d’indiquer au demandeur dans le délai d’un mois […] les pièces manquantes nécessaires à l’examen du projet ainsi modifié » (CE 1-12-2023 no 448905, Cne de Gorbio : BPIM 1/24 inf. 10).

13. L’autorité compétente devra donc analyser avec une grande précision les pièces qui lui seraient présentées afin de déterminer si leur examen nécessite un délai supplémentaire d’instruction ou si une décision peut être prise par elle dans des conditions acceptables.

14. Responsabilisée, l’administration l’est assurément. Attention toutefois à ne pas y voir un contrôle du juge qui excéderait celui auquel il souhaite s’astreindre…

Une administration toujours protégée

Majoration indue du délai d’instruction

15. Le Conseil d’État, dans sa décision du 24 octobre 2023 relative aux majorations irrégulières du délai d’instruction, a livré une précision importante qui semble rejaillir sur celle du 9 décembre 2022 « Commune de Saint-Herblain » relative aux demandes de pièces complémentaires. En effet, dans cette décision du 24 octobre 2023, il distingue le défaut de motivation de la majoration de délai d’instruction de son bien-fondé : « s’il appartient à l’autorité compétente, le cas échéant, d’établir qu’elle a procédé à la consultation ou mis en œuvre la procédure ayant motivé la prolongation du délai d’instruction, le bien-fondé de cette prolongation est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ».
En d’autres termes, dès lors que l’administration vise un article du Code de l’urbanisme prévoyant une majoration du délai d’instruction, peu importe que celui-ci soit applicable au cas d’espèce pour s’appliquer…

Logique similaire pour les demandes de pièces complémentaires

16. À la lecture des conclusions du rapporteur public, on comprend qu’une logique similaire était à l’œuvre dans la décision relative aux demandes de pièces complémentaires illégales du 9 décembre 2022 : « comme Saint-Herblain se limite à un contrôle de ce que la ou les pièces complémentaires sont de celles qui figurent dans la liste limitative fixée par les dispositions réglementaires, sans aller jusqu’à contrôler la nécessité de la pièce au cas d’espèce ».
En conséquence, la demande d’une pièce non prévue par le Code de l’urbanisme conduit à l’obtention d’un permis tacite. En revanche, la demande de pièce indûment demandée mais qui figure parmi les pièces pouvant être demandées interrompra le délai d’instruction.

Conséquences pratiques

17. Ainsi, et par exemple, si la demande de justification du contrôle technique de la voiture du pétitionnaire peut mener à un permis tacite, ce n’est pas le cas de la demande de justification de l’enregistrement d’une installation classée pour un permis de maison individuelle. De même, la notification d’un délai de 8 mois en raison de la nécessité de recueillir l’accord du ministre chargé des sites serait opposable alors même que le projet ne serait pas situé en site classé.

18. Gare donc aux pétitionnaires qui avaient pu penser que le juge administratif avait entendu les protéger contre des demandes de pièces complémentaires ou des majorations du délai d’instruction infondées : celui-ci ne permet en réalité la naissance d’autorisations tacites que dans l’hypothèse où les demandes ou les majorations sont non motivées, c’est-à-dire les cas où elles ne viseraient pas une hypothèse prévue par le Code de l’urbanisme.

19. L’administration pourra donc être encore excusée des erreurs d’application de la loi et du règlement, et le pétitionnaire pourra encore saisir le juge de celles-ci… dans une temporalité qui n’est pas de nature à participer à la quiétude des rapports entre les parties.

Substitution de pièces à l’initiative du pétitionnaire

20. De manière tout à fait comparable, une nouvelle fois, dans sa décision relative aux substitutions de pièces dans le cas où un pétitionnaire modifie son projet au cours de l’instruction, le Conseil d’État donne un large pouvoir à l’autorité compétente, qui pourra apprécier de manière large la nécessité de rouvrir un délai d’instruction (CE 1-12-2023 no 448905, Cne de Gorbio : BPIM 1/24 inf. 10).

21. Vigilance pour les porteurs de projet, qui devront non seulement être attentifs aux incidences des modifications demandées mais, plus encore, les mettre en perspective avec les relations entretenues avec les services et les élus pour éviter tout retournement de situation.

 

© Lefebvre Dalloz 2024

Publié il y a 1 an
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