1. C’est par un avis concis mais précis que la troisième chambre civile de la Cour de cassation affine les modalités de mise en œuvre de la procédure accélérée au fond visée à l’article 19-2 de la loi 65-557 du 10 juillet 1965 (Cass. 3e civ. avis 12-12-2024 no 24-70.007 FS-PB). Ce dispositif permet au syndic d’obtenir du juge la condamnation d’un copropriétaire défaillant au paiement non seulement de ses dettes, mais également des provisions non encore échues, lesquelles deviennent immédiatement exigibles. Et c’est là toute son originalité : anticiper sur l’avenir même si cela revient à préjuger d’un comportement non encore fautif d’un copropriétaire. Une procédure très intéressante sur le principe mais qui, pendant longtemps, a été peu prisée des syndics en raison de son caractère trop restrictif.
Le recouvrement anticipé des provisions
2. Introduit par la loi SRU au sein de la loi du 10 juillet 1965 (Loi 2000-1208 Solidarité et renouvellement urbains du 13 décembre 2000, dite « Loi SRU », art. 81), l’article 19-2 précise, dans ses alinéas 1 à 3 :
« À défaut du versement à sa date d’exigibilité d’une provision due au titre de l’article 14-1, et après mise en demeure restée infructueuse passé un délai de trente jours, les autres provisions non encore échues en application du même article 14-1 ainsi que les sommes restant dues appelées au titre des exercices précédents après approbation des comptes deviennent immédiatement exigibles.
Le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, après avoir constaté, selon le cas, l’approbation par l’assemblée générale des copropriétaires du budget prévisionnel, des travaux ou des comptes annuels, ainsi que la défaillance du copropriétaire, condamne ce dernier au paiement des provisions ou sommes exigibles. Le présent article est applicable aux cotisations du fonds de travaux mentionné à l’article 14-2-1. »
3. La possibilité de réclamer par anticipation les sommes non encore exigibles concerne ainsi les provisions comprises ou non dans le budget prévisionnel, les cotisations issues du fonds de travaux ainsi que les sommes appelées au titre des exercices précédents après approbation des comptes.
4. Pour autant, cela n’a pas toujours été le cas, le texte initial tel qu’il résultait de la loi SRU ne visant que les provisions du budget prévisionnel, à l’exclusion de toute autre dépense. On ne pouvait ainsi utiliser cette procédure pour le recouvrement des provisions appelées au titre de travaux par exemple.
5. De même, les charges échues ne constituant pas des provisions, le syndic ne pouvait utiliser la procédure de l’article 19-2 pour procéder à leur recouvrement (CA Paris 8-10-2008 no 08/02744). Il lui était donc impossible de réclamer par le biais de cette procédure les sommes réclamées au titre de l’approbation des comptes ou encore le paiement des charges de l’exercice antérieur, l’article 19-2 ne concernant alors que les charges de l’année en cours (Cass. 3e civ. 22-9-2010 no 09-16.678).
Il faudra attendre la loi 2018-1021 du 23 novembre 2018, dite « loi Élan » pour que la procédure de l’article 19-2 soit étendue aux travaux non compris dans le budget prévisionnel ainsi qu’aux sommes restant dues appelées au titre des exercices précédents après approbation des comptes. Une grande avancée pratique permettant de redonner à ce dispositif la place centrale qui lui revient dans le cadre de la lutte contre les impayés de charges.
6. On pourra juste regretter que le législateur n’ait pas suivi les conclusions du rapport Braye, lequel préconisait d’étendre la procédure de l’article 19-2 aux provisions du budget voté de l’année n + 1 (D. Braye, Prévenir et guérir les difficultés des copropriétés : une priorité des politiques de l’habitat : Anah, proposition no 33, janvier 2012).
7. Malgré ces avancées, un flou perdure concernant les provisions issues d’un exercice antérieur et dont les comptes n’auraient pas encore été approuvés. Au regard de la rédaction de l’article 19-2 et de la position des tribunaux, on peut légitimement penser que cette procédure ne leur est pas applicable.
Le rôle central de la mise en demeure
8. La procédure accélérée au fond, anciennement « comme en matière de référé » avant la réforme opérée par l’ordonnance 2019-738 du 17 juillet 2019, permet au requérant, le syndicat des copropriétaires en l’espèce, de bénéficier d’une décision rapide sans avoir à justifier de conditions particulières préalables, notamment l’urgence ou l’absence de contestation sérieuse.
9. Toutefois, le recouvrement anticipé des provisions suppose une mise en demeure préalable demeurée infructueuse passé un délai de trente jours. Il appartient alors au syndic de procéder correctement à sa rédaction afin que le copropriétaire débiteur soit pleinement informé des conséquences qu’il encourt s’il ne paye pas dans les délais indiqués. Or, sur ce point, force est de constater que les textes sont peu prolixes, aucune mention particulière n’étant expressément prévue de sorte que les juges ont dû se substituer au législateur. On notera ainsi que l’interpellation du débiteur a été estimée insuffisante lorsque la mise en demeure « ne comporte aucun visa de l’article 19-2, qui instaure pourtant une procédure dérogatoire de recouvrement de charges emportant des conditions et des conséquences spécifiques » et n’informe pas le destinataire « ni du délai qu’impose cet article 19-2, ni de la sanction encourue d’exigibilité immédiate des provisions non encore échues du budget prévisionnel » (CA Aix-en-Provence 7-12-2023 no 22/09873 : Dalloz jurisprudence). Il importe donc d’être extrêmement rigoureux dans la rédaction de la mise en demeure, d’autant que désormais, la procédure de l’article 19-2 peut être utilisée pour des sommes de nature différente.
L’apport de l’avis de la Cour de cassation
10. Dans la présente affaire, le Tribunal judiciaire de Marseille a formulé auprès de la Cour de cassation la demande d’avis suivante : « La mise en demeure visée par l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 doit-elle distinguer les provisions dues au titre de l’article 14-1 de la même loi, des charges échues impayées des exercices antérieurs ? ». Une question d‘importance au regard du silence des textes en la matière et du caractère dérogatoire de la procédure accélérée au fond. Selon l’avocat général M. Sturlese, les mises en demeure comportant un montant global d’impayés et y agrégeant des sommes non encore exigibles à ce stade dénaturent « la finalité et l’esprit de cette procédure spéciale ». En effet, selon lui, la distinction opérée dans la mise en demeure des sommes appelées auprès du copropriétaire relève d’un principe de loyauté permettant à l’intéressé de prendre conscience des conséquences que pourrait entraîner un défaut de paiement dans les délais prescrits. Et c’est précisément en ce sens que va statuer la Cour de cassation.
11. Ainsi, la mise en demeure doit indiquer avec précision la nature et le montant des provisions réclamées au titre du budget prévisionnel de l’exercice en cours ou des dépenses pour travaux non comprises dans ce budget, à peine d’irrecevabilité de la demande. La sanction de l’irrecevabilité permet au demandeur de procéder à une nouvelle saisine dans l’hypothèse où la première n’aurait pas été correctement formulée.
12. De fait, l’on ne saurait trop conseiller aux syndics de détailler le plus précisément possible les sommes appelées auprès du copropriétaire au titre de l’article 19-2 en distinguant les sommes au regard de leur nature : provisions résultant du budget prévisionnel et du vote de travaux, sommes restant dues au titre des exercices antérieurs après approbation des comptes ou encore les provisions dont il est demandé au juge l’exigibilité immédiate. La présentation d’un montant global entraînera irrémédiablement l’irrecevabilité de l’action.
13. Cet avis doit également inciter le législateur à réglementer un minimum les modalités de mise en œuvre de la procédure accélérée au fond afin de limiter l’aléa judiciaire.
© Lefebvre Dalloz